Éternité

L’éternité ressemblera à cette soirée morne

Où,

Assise

immobile

Je respire doucement

En regardant la pluie fouetter la vitre du salon

J’attends

que les contours de ton visage

L’odeur de ta peau

Tabac/alcool/un peu de soleil parfois/si peu

S’évanouissent

 

Souveraine

 

Indifférente

 

Nathalie Boisvert, Tous droits réservés

 

#NaPoMo

#Miplaf2019

 

Le mois national de la poésie, jour 1

#Napomo jour 1
 
Napomo comme
un mot inconnu dans une langue étrangère
j’embarque tout de même
dans le bateau
sans savoir exactement
ou je vais et sans avoir réussi à retrouver
sur mon clavier
l’accent grave
de circonstance parce que
on ne sait jamais d’un jour à l’autre si
on pourra sourire aimer
 
juste des mots pour nommer
 
mon incompétence
à l’ennui.
au manque
à vivre.
 
La routine.
 
Nathalie Boisvert, #Napomo 1er avril 2020, un poème par jour pendant 30 jours.

22 mars 2020

La liste, 22 mars 2020
Levée tôt, j’ai écrit la date en commençant mon journal et j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de 2 les uns à la suite de l’autre. Moi-même, je suis née le 2 novembre, j’ai deux chats et deux enfants. N’importe quoi.
 
-Un rêve récurrent me torture chaque nuit : je rêve que j’essaie de me rendre à Laval en mobylette dans un orage épouvantable, et que je perds mes chats en chemin. En essayant de les retrouver, je me retrouve dans des maisons inconnues où je m’introduis par effraction. Les gens qui y habitent ne semblent pas du tout troublés par ma présence. J’ai probablement besoin d’une psychanalyse.
 
-Les chats ont commencé à avoir un comportement erratique. Ils me suivent partout en miaulant. Ma théorie est que je les ennuie et qu’ils en ont marre que je sois toujours à la maison. Les pauvres. Je suis en congé forcé jusqu’au premier mai.
 
-Suite au point de presse de 13h, je vais écouter notre premier ministre et contacter le Centre des femmes de Verdun pour y offrir mes services.
 
-Vu par la fenêtre : un itinérant dans la ruelle qui poussaient un lourd chariot plein de cannettes et de bouteilles, une femme qui marchait très vite avec sa valise à roulette, un masque et un sac à dos. Un ciel d’un bleu intense, apaisant.
-J’ai réussi à envoyer mon texte pour un événement de lecture en ligne (à suivre). J’étais très contente d’avoir fait ça. Je me suis dit que ma manière d’être utile, c’était surtout d’écrire.
 
-A force d’être seule, je deviens de plus en plus auteure et de moins en moins prof. Je ne sais pas jusqu’à quel point je pourrai revenir dans la réalité des humains ordinaires lorsqu’elle nous rattrapera. Mon rêve d’être une gentlewoman farmer se précise.
 
-Le dispositif de ma toilette m’a lâché. C’est le temps de faire une plombière de ma grande carcasse d’artiste inutile et de commander un dispositif pour la cuvette dans une quincaillerie, ou de me commander un mini fer à souder qui fonctionne aussi dans l’eau. (C’est une gaffe domestique qui me tuera, et non le Covid-19.)
 
-Je parle au téléphone à mon ex tous les jours, plusieurs fois. On se soutient malgré tout. L’humanité est plus forte que les rancunes dans des moments comme ceux-ci. Les deux mètres de distance (et plus) sont toujours respectés…
 
-Il m’est apparu très clairement qu’il y avait assez de ressources pour nourrir tous les humains et que nous étions capables d’avancer très vite, comme race, si nous laissions aller les notions de profit et de territoire. C’est une utopie…mais la souffrance, parfois, est un excellent professeur.
 
-Le chainon manquant de ma pièce Poèmes de pharmacie m’est apparu. Il me faut trouver les archives de la construction du Pont Victoria et aussi des années 1858-59 à Montréal, en lien avec les Irlandais morts du Typhus. C’était déjà dans la pièce mais j’ai décidé de procéder par montage plutôt que d’écrire un nouveau texte. Ce n’est pas la première fois que l’actualité rattrape ce que j’écris.
 
-Pendant une heure, mon esprit s’est mis à spiraler dans tous les sens et j’ai pensé devenir folle en envisageant que je passerais un autre mois ou plus complètement seule, sans contact humain, à essayer de me convaincre de finir la vaisselle ou autre tâche domestique. J’ai vraiment pensé, pendant une heure, que j’allais perdre la raison, que j’étais en train de perdre la raison. Alors je suis partie en expédition au dépanneur.
 
Le monsieur du dépanneur s’est construit une cabane en plastique d’où il sert ses clients. Il porte un masque et des gants. Les clients se tiennent à deux mètres de distance. Là-bas, il ne manquera jamais de rien. Quand ce sera la fin du monde pour vrai, il restera des zombies (qui nous auront mangés) et des dépanneurs.
J’ai acheté du papier de toilette, une conserve de nourriture pour chats parce qu’eux aussi ont le droit d’avoir des gâteries, des chips au vinaigre et de la bière. En revenant, j’ai jeté mes bottes, mes gants, mon manteau et mon sac dans l’escalier et je me suis lavée les mains comme un folle.
 
Pour souper ce soir, j’ai fait braiser une cuisse de dinde – il n’y avait plus de poulet- avec des oignons, des herbes, des carottes, du céleri, du bouillon de légumes et des pommes de terre. Le bouillon deviendra une soupe portugaise (non non, je n’ai pas de culte pour le Docteur Arruda) une sorte de Caldo verde, mais je remplacerai le chorizo par du bacon et le chou frisé par du Kale, abondant dans mon frigo, mais sur le bord d’expirer. Ma mère m’a appris à cuisiner de manière économique et créative et je la remercie.
 
J’espère que vous allez bien et que comme moi, vous n’êtes pas en train de penser que c’est la solitude qui vous tuera, et non la Covid-19.

21 mars 2020

Le 21 mars 2020

 

La liste, 21 février 2020

– Levée à 7h30, j’ai avalé 3 expressos en ligne en espérant que ça me tienne éveillée, puis j’ai écrit six pages d’un trait dans un petit cahier bleu dont la couverture dit : écrivez votre propre histoire, malgré le fait que pour l’instant, c’est l’Histoire qui nous contrôle.

-Ma liste des cauchemars de la nuit serait trop longue à raconter. Il y en a un, récurrent, de type labyrinthe, où j’essaie de fuir Montréal pour aller à Laval en mobylette, sous la pluie, avec mes chats qui se sauvent et que j’essaie de retrouver dans des maisons désertes.

-Je me suis ensuite agitée dans la maison en n’accomplissant à peu près rien: j’ai fait un lavage et j’ai oublié de le mettre dans la sécheuse, j’ai commencé à faire la vaisselle et je ne l’ai pas finie, j’ai magasiné en ligne pour tenter de trouver du papier de toilette zéro déchet – il n’y avait plus- j’ai cuisiné une frittata oignon poivrons rouges thym cheddar bacon et je l’ai dégustée lentement avec des biscottes de seigle puis, après les nouvelles de 13h, j’ai mis mes bottes pour aller prendre une marche et je me suis endormie très profondément, sur le divan pour 3h. La narcolepsie est ma maladie inventée du jour.

-J’ai retrouvé mes souliers de course au fond du panier à linge ainsi que mes linges à vaisselle.

-Un des linges à vaisselle a été sacrifié afin de faire du papier de toilette expérimental. Je ne suis pas convaincue.

-Après avoir remis mes verres de contact, mon œil est de nouveau infecté donc mes barniques des années 1990 sont de retour sur mon nez, ce qui m’embête au plus haut point car je fomente une lecture en ligne bientôt et je ressemble à la grand-mère du petit chaperon rouge du livre d’histoire de mon enfance si je tente de lire avec les dites barniques sur le bout de mon nez. Je ne suis pas prête.

-J’ai imaginé un bar où les gens seraient séparés par des cubes de plexiglass étanches et stériles et ça m’a fait frissonner.

-J’ai du parler au moins deux heures d’affilée au téléphone. La dernière fois, j’avais 14 ans.

-Je suis sortie de mon confinement pour aller porter une antenne de télévision à mon ex qui n’en avait plus et qui n’a pas l’Internet, qui était en train de devenir fou. Nous avons respecté les deux mètres de distance…

-En promenade sur la rue Lasalle, j’ai regardé les deux outardes qui pataugeaient dans une flaque de neige avec un œil de survivaliste.

-Les seuls humains qui marchaient au bord de l’eau sur Lasalle étaient accompagnés de chiens ou d’enfants, à part un ou deux couples.

-Sur la rue Verdun, il y avait quelques individus (ce mot!) qui erraient en regardant par les fenêtres des gens au rez-de-chaussée. Je me suis dit que j’allais remettre des rideaux aux fenêtres de mon salon, même si j’habite au troisième étage, je me suis dit que j’avais lu trop de romans de Stephen King, je me suis dit qu’on était les créatures d’un roman de Stephen King qu’il n’avait pas encore écrit ou alors qu’il y avait eu un bogue entre la réalité et la fiction et que nous ne le savions pas.

-J’ai pensé que les riches trouveraient probablement une manière de s’enrichir avec cette situation parce que la richesse est une culture et un comportement appris tout comme la pauvreté ou la classe moyenne, selon ma perception des choses du moins, et ensuite j’ai pensé au documentaire de Naomi Klein qui explique clairement avec preuve à l’appui que chaque crise amène davantage de privatisation et dans ma tête, tout ça s’est mélangé avec une scène du roman Les Enchanteurs de Romain Gary où les bourgeois ne passent pas un très bon quart d’heure pendant la révolution russe et j’ai pensé à mes enfants et mon cœur a flanché et je suis allée mettre mon linge dans la sécheuse en espérant qu’il ne sente pas le chien mouillé.

 

 

La liste, 20 mars 2020

Le 20 mars 2020

 

La liste:

– Je me suis fait réveiller à 8h am par plusieurs messages d’amis.es Facebook, vous savez, les petites clochettes…c’était un peu surréaliste parce que normalement c’est le trafic sur ma rue qui me réveille. Là, il n’y avait aucun véhicule.

– J’ai écrit comme toujours mes morning pages mais je n’ai aucun souvenir des mots que j’y ai écrits.

-Encore une fois, l’appétit est disparu. Je me suis forcée à ingérer les trois groupes alimentaires mais deux repas seulement aujourd’hui.

-Le point de presse de 13h est devenu ma routine quotidienne. Comme toujours, je remarque des détails parfaitement anodins. Il y avait une adolescente blonde qui courait devant le trio ministériel. Le docteur Arruda a retrouvé sa coiffure habituelle alors qu’hier, il sortait visiblement du salon de coiffure. Notre premier ministre avait l’air épuisé, livide.

-A 14h, j’ai eu sommeil et j’ai décidé de me coucher. Des pensées hétéroclites se sont mises à défiler. Et si James Lovelock avait raison, et que nous n’étions qu’une infime petite partie de la terre, qui elle-même serait un gigantesque organisme qui se régule lui-même? Je me suis demandé pourquoi on ne consommait pas que ce qui pousse ici, au Québec…et qu’est-ce qui remplacerait le riz, si on faisait ça? J’ai pensé aux Italiens et aux Français et à mes amis.es belges. J’ai pensé à la mère de Mildred, la grand-mère de mon ex, dont les parents étaient morts de la grippe espagnole et aux peuples qui ont survécu terrés lors de grandes guerres et des holocaustes de ce monde. J’ai pensé que je n’avais aucune confiance en Donald Trump et qu’il disait et faisait n’importe quoi pour calmer et rassurer la population, sans écouter qui que ce soit. Que la recherche sur le médicament anti paludisme n’était aucunement prouvé et son succès, anecdotique pour l’instant. Je me suis levée, épuisée. Je n’ai pas dormi.

-J’ai décidé de décrasser la salle de bain, envahie par un écosystème innommable constitué de moutons de poussière, de poils de chats et sans doute de divers micro organismes toxiques. A la course entre l’école, mes textes et la frontière américaine, j’ai rarement le temps de m’occuper de mon environnement. J’ai réalisé avec un peu d’horreur amusée que j’étais à deux rouleaux de papier de toilette d’en manquer. J’ai exploré l’idée d’en acheter du lavable, oui oui. Mais je ne l’ai pas encore fait.

-J’ai commandé de la bouffe à chats faite au Québec.

-A 7 heures, j’ai pris une longue douche, je me suis parfumée, et j’ai mis mon pyjama bleu et blanc, sur lequel il y a un minou qui dit : Do not disturb unless you have coffee. Je me suis trouvée totalement absurde.

-J’ai regardé mes mains et j’ai remarqué que des rides étaient en train de se former. Ou peut-être que je me les lave trop souvent.

-J’ai encore pensé à mon père prisonnier de sa démence et du CHSLD. J’ai pleuré en pensant à son sourire; il m’a dit la dernière fois : je prie pour vous autres chaque jour, pour ne pas que vous manquiez d’argent.

-Le chat Oréo, entrainé à rapporter de petits objets, a commencé depuis quelques jours à me rapporter une baguette chinoise. Il me force à interagir avec lui. Il me fait sourire.

-J’ai pensé aux femmes victimes de violence coincées chez elles avec leur bourreau.

-J’ai pensé à mon ex qui lui, a un ennemi autrement plus difficile à abattre que le corona virus; je sais aussi qu’il a été exposé à une personne malade; j’ai encore pleuré un peu.

-J’ai pris une photo avec Doggy, le petit chien noir et blanc en peluche que Gabriel, mon fils de dix ans qui vit aux USA, a oublié ici. J’ai aussi pris une photo d’Oréo qui dort avec la langue sortie et une autre de Bouh, étalé de manière totalement indécente sur le divan. Je les ai envoyées aux enfants.

-J’ai réalisé que je n’avais plus de mascara. J’ai pensé en acheter et je me suis dit, à quoi bon. Puis, je me suis assise ici avec mon thé froid, pour vous écrire.

 

Nathalie Boisvert, tous droits réservés.

 

14 mars 2020

Mes yeux sont infectés ma vue trouble j’ai
confondu la lune avec un lampadaire
 
je t’appelle puis je te bloque et
je ferme le téléphone pour
ne pas
espérer
 
à Verdun
les rues sont désertes
noires
il y a un fond de terre qui dégèle dans l’air froid
les feuilles mortes sont encore dans les branches d’arbres et
la neige est devenue de la glace sur laquelle
je marche
précautionneusement vers
 
le dépanneur
 
il n’y a presque personne
des rouleaux de papier de toilette
qui
trônent fièrement sur les tablettes les rangées débordent de
toutes les nécessités de la vie chips bière bonbons loteries nourriture pour animaux
 
macaronis en boite pleins de
 
létalité
 
ici
 
les gens
ne font pas de réserves ils n’en ont jamais fait c’est
une crise qui s’étire depuis toujours qui
ne s’arrête pas ne s’arrêtera pas
 
au moins pour une fois il y a de quoi parler
 
Nathalie Boisvert, 14 mars 2020,

La génération X

Nous avons été nourris au lait de vache, avons voyagé sur le siège avant de la voiture sur les genoux de notre mère qui fumait en nous donnant le biberon alors que notre papa conduisait un peu éméché. Nous savons comment entrer par la fenêtre car nous avons pratiqué alors que nos parents étaient coincés au travail et que, nous gardant seuls dès l’âge de huit ans, nous avions perdu notre clef lors d’escapades sans surveillance dans les bois ou dans les ruelles. Nous savons cuisiner un Kraft diner parfaitement gastronomique, et avons bu beaucoup de jus d’orange Tang en poudre – un délice vintage oublié et jugé sans doute sacrilège par les gourous de la santé d’aujourd’hui. Notre cerveau, un peu orangé à cause de ce régime qui s’est parfois prolongé jusqu’à l’adolescence, qui pour nous se termine vers 51 ans,nous a rendus un peu fous et surtout sans peur aucune. Nous sommes à la fois civilisés et wild, adeptes des quartiers populaires et de leur culture, mais éduqués à l’os car nous avons tous étudié trop longtemps – il n’y avait plus de travail quand nous somme arrivés sur le marché. Riche de notre oisiveté forcée, nous avons lu beaucoup et voyagé beaucoup et donc savons plusieurs détails parfaitement inutiles mais savoureux sur la vie et sommes passés maîtres dans l’Art de la conversation. Je suis fière de faire partie de cette génération dite sacrifiée mais oh combien colorée et résiliente.;)

Lévitation

J’ai tant perdu

J’ai parfois l’impression de léviter

Quand j’erre dans les rues mortuaires de l’automne montréalais

Et que la lumière se raréfie

 

Nathalie Boisvert, tous droits réservés, 14 septembre 2019