Le 21 mars 2020

 

La liste, 21 février 2020

– Levée à 7h30, j’ai avalé 3 expressos en ligne en espérant que ça me tienne éveillée, puis j’ai écrit six pages d’un trait dans un petit cahier bleu dont la couverture dit : écrivez votre propre histoire, malgré le fait que pour l’instant, c’est l’Histoire qui nous contrôle.

-Ma liste des cauchemars de la nuit serait trop longue à raconter. Il y en a un, récurrent, de type labyrinthe, où j’essaie de fuir Montréal pour aller à Laval en mobylette, sous la pluie, avec mes chats qui se sauvent et que j’essaie de retrouver dans des maisons désertes.

-Je me suis ensuite agitée dans la maison en n’accomplissant à peu près rien: j’ai fait un lavage et j’ai oublié de le mettre dans la sécheuse, j’ai commencé à faire la vaisselle et je ne l’ai pas finie, j’ai magasiné en ligne pour tenter de trouver du papier de toilette zéro déchet – il n’y avait plus- j’ai cuisiné une frittata oignon poivrons rouges thym cheddar bacon et je l’ai dégustée lentement avec des biscottes de seigle puis, après les nouvelles de 13h, j’ai mis mes bottes pour aller prendre une marche et je me suis endormie très profondément, sur le divan pour 3h. La narcolepsie est ma maladie inventée du jour.

-J’ai retrouvé mes souliers de course au fond du panier à linge ainsi que mes linges à vaisselle.

-Un des linges à vaisselle a été sacrifié afin de faire du papier de toilette expérimental. Je ne suis pas convaincue.

-Après avoir remis mes verres de contact, mon œil est de nouveau infecté donc mes barniques des années 1990 sont de retour sur mon nez, ce qui m’embête au plus haut point car je fomente une lecture en ligne bientôt et je ressemble à la grand-mère du petit chaperon rouge du livre d’histoire de mon enfance si je tente de lire avec les dites barniques sur le bout de mon nez. Je ne suis pas prête.

-J’ai imaginé un bar où les gens seraient séparés par des cubes de plexiglass étanches et stériles et ça m’a fait frissonner.

-J’ai du parler au moins deux heures d’affilée au téléphone. La dernière fois, j’avais 14 ans.

-Je suis sortie de mon confinement pour aller porter une antenne de télévision à mon ex qui n’en avait plus et qui n’a pas l’Internet, qui était en train de devenir fou. Nous avons respecté les deux mètres de distance…

-En promenade sur la rue Lasalle, j’ai regardé les deux outardes qui pataugeaient dans une flaque de neige avec un œil de survivaliste.

-Les seuls humains qui marchaient au bord de l’eau sur Lasalle étaient accompagnés de chiens ou d’enfants, à part un ou deux couples.

-Sur la rue Verdun, il y avait quelques individus (ce mot!) qui erraient en regardant par les fenêtres des gens au rez-de-chaussée. Je me suis dit que j’allais remettre des rideaux aux fenêtres de mon salon, même si j’habite au troisième étage, je me suis dit que j’avais lu trop de romans de Stephen King, je me suis dit qu’on était les créatures d’un roman de Stephen King qu’il n’avait pas encore écrit ou alors qu’il y avait eu un bogue entre la réalité et la fiction et que nous ne le savions pas.

-J’ai pensé que les riches trouveraient probablement une manière de s’enrichir avec cette situation parce que la richesse est une culture et un comportement appris tout comme la pauvreté ou la classe moyenne, selon ma perception des choses du moins, et ensuite j’ai pensé au documentaire de Naomi Klein qui explique clairement avec preuve à l’appui que chaque crise amène davantage de privatisation et dans ma tête, tout ça s’est mélangé avec une scène du roman Les Enchanteurs de Romain Gary où les bourgeois ne passent pas un très bon quart d’heure pendant la révolution russe et j’ai pensé à mes enfants et mon cœur a flanché et je suis allée mettre mon linge dans la sécheuse en espérant qu’il ne sente pas le chien mouillé.

 

 

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