La liste, 22 mars 2020
Levée tôt, j’ai écrit la date en commençant mon journal et j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de 2 les uns à la suite de l’autre. Moi-même, je suis née le 2 novembre, j’ai deux chats et deux enfants. N’importe quoi.
 
-Un rêve récurrent me torture chaque nuit : je rêve que j’essaie de me rendre à Laval en mobylette dans un orage épouvantable, et que je perds mes chats en chemin. En essayant de les retrouver, je me retrouve dans des maisons inconnues où je m’introduis par effraction. Les gens qui y habitent ne semblent pas du tout troublés par ma présence. J’ai probablement besoin d’une psychanalyse.
 
-Les chats ont commencé à avoir un comportement erratique. Ils me suivent partout en miaulant. Ma théorie est que je les ennuie et qu’ils en ont marre que je sois toujours à la maison. Les pauvres. Je suis en congé forcé jusqu’au premier mai.
 
-Suite au point de presse de 13h, je vais écouter notre premier ministre et contacter le Centre des femmes de Verdun pour y offrir mes services.
 
-Vu par la fenêtre : un itinérant dans la ruelle qui poussaient un lourd chariot plein de cannettes et de bouteilles, une femme qui marchait très vite avec sa valise à roulette, un masque et un sac à dos. Un ciel d’un bleu intense, apaisant.
-J’ai réussi à envoyer mon texte pour un événement de lecture en ligne (à suivre). J’étais très contente d’avoir fait ça. Je me suis dit que ma manière d’être utile, c’était surtout d’écrire.
 
-A force d’être seule, je deviens de plus en plus auteure et de moins en moins prof. Je ne sais pas jusqu’à quel point je pourrai revenir dans la réalité des humains ordinaires lorsqu’elle nous rattrapera. Mon rêve d’être une gentlewoman farmer se précise.
 
-Le dispositif de ma toilette m’a lâché. C’est le temps de faire une plombière de ma grande carcasse d’artiste inutile et de commander un dispositif pour la cuvette dans une quincaillerie, ou de me commander un mini fer à souder qui fonctionne aussi dans l’eau. (C’est une gaffe domestique qui me tuera, et non le Covid-19.)
 
-Je parle au téléphone à mon ex tous les jours, plusieurs fois. On se soutient malgré tout. L’humanité est plus forte que les rancunes dans des moments comme ceux-ci. Les deux mètres de distance (et plus) sont toujours respectés…
 
-Il m’est apparu très clairement qu’il y avait assez de ressources pour nourrir tous les humains et que nous étions capables d’avancer très vite, comme race, si nous laissions aller les notions de profit et de territoire. C’est une utopie…mais la souffrance, parfois, est un excellent professeur.
 
-Le chainon manquant de ma pièce Poèmes de pharmacie m’est apparu. Il me faut trouver les archives de la construction du Pont Victoria et aussi des années 1858-59 à Montréal, en lien avec les Irlandais morts du Typhus. C’était déjà dans la pièce mais j’ai décidé de procéder par montage plutôt que d’écrire un nouveau texte. Ce n’est pas la première fois que l’actualité rattrape ce que j’écris.
 
-Pendant une heure, mon esprit s’est mis à spiraler dans tous les sens et j’ai pensé devenir folle en envisageant que je passerais un autre mois ou plus complètement seule, sans contact humain, à essayer de me convaincre de finir la vaisselle ou autre tâche domestique. J’ai vraiment pensé, pendant une heure, que j’allais perdre la raison, que j’étais en train de perdre la raison. Alors je suis partie en expédition au dépanneur.
 
Le monsieur du dépanneur s’est construit une cabane en plastique d’où il sert ses clients. Il porte un masque et des gants. Les clients se tiennent à deux mètres de distance. Là-bas, il ne manquera jamais de rien. Quand ce sera la fin du monde pour vrai, il restera des zombies (qui nous auront mangés) et des dépanneurs.
J’ai acheté du papier de toilette, une conserve de nourriture pour chats parce qu’eux aussi ont le droit d’avoir des gâteries, des chips au vinaigre et de la bière. En revenant, j’ai jeté mes bottes, mes gants, mon manteau et mon sac dans l’escalier et je me suis lavée les mains comme un folle.
 
Pour souper ce soir, j’ai fait braiser une cuisse de dinde – il n’y avait plus de poulet- avec des oignons, des herbes, des carottes, du céleri, du bouillon de légumes et des pommes de terre. Le bouillon deviendra une soupe portugaise (non non, je n’ai pas de culte pour le Docteur Arruda) une sorte de Caldo verde, mais je remplacerai le chorizo par du bacon et le chou frisé par du Kale, abondant dans mon frigo, mais sur le bord d’expirer. Ma mère m’a appris à cuisiner de manière économique et créative et je la remercie.
 
J’espère que vous allez bien et que comme moi, vous n’êtes pas en train de penser que c’est la solitude qui vous tuera, et non la Covid-19.

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