Le 20 mars 2020

 

La liste:

– Je me suis fait réveiller à 8h am par plusieurs messages d’amis.es Facebook, vous savez, les petites clochettes…c’était un peu surréaliste parce que normalement c’est le trafic sur ma rue qui me réveille. Là, il n’y avait aucun véhicule.

– J’ai écrit comme toujours mes morning pages mais je n’ai aucun souvenir des mots que j’y ai écrits.

-Encore une fois, l’appétit est disparu. Je me suis forcée à ingérer les trois groupes alimentaires mais deux repas seulement aujourd’hui.

-Le point de presse de 13h est devenu ma routine quotidienne. Comme toujours, je remarque des détails parfaitement anodins. Il y avait une adolescente blonde qui courait devant le trio ministériel. Le docteur Arruda a retrouvé sa coiffure habituelle alors qu’hier, il sortait visiblement du salon de coiffure. Notre premier ministre avait l’air épuisé, livide.

-A 14h, j’ai eu sommeil et j’ai décidé de me coucher. Des pensées hétéroclites se sont mises à défiler. Et si James Lovelock avait raison, et que nous n’étions qu’une infime petite partie de la terre, qui elle-même serait un gigantesque organisme qui se régule lui-même? Je me suis demandé pourquoi on ne consommait pas que ce qui pousse ici, au Québec…et qu’est-ce qui remplacerait le riz, si on faisait ça? J’ai pensé aux Italiens et aux Français et à mes amis.es belges. J’ai pensé à la mère de Mildred, la grand-mère de mon ex, dont les parents étaient morts de la grippe espagnole et aux peuples qui ont survécu terrés lors de grandes guerres et des holocaustes de ce monde. J’ai pensé que je n’avais aucune confiance en Donald Trump et qu’il disait et faisait n’importe quoi pour calmer et rassurer la population, sans écouter qui que ce soit. Que la recherche sur le médicament anti paludisme n’était aucunement prouvé et son succès, anecdotique pour l’instant. Je me suis levée, épuisée. Je n’ai pas dormi.

-J’ai décidé de décrasser la salle de bain, envahie par un écosystème innommable constitué de moutons de poussière, de poils de chats et sans doute de divers micro organismes toxiques. A la course entre l’école, mes textes et la frontière américaine, j’ai rarement le temps de m’occuper de mon environnement. J’ai réalisé avec un peu d’horreur amusée que j’étais à deux rouleaux de papier de toilette d’en manquer. J’ai exploré l’idée d’en acheter du lavable, oui oui. Mais je ne l’ai pas encore fait.

-J’ai commandé de la bouffe à chats faite au Québec.

-A 7 heures, j’ai pris une longue douche, je me suis parfumée, et j’ai mis mon pyjama bleu et blanc, sur lequel il y a un minou qui dit : Do not disturb unless you have coffee. Je me suis trouvée totalement absurde.

-J’ai regardé mes mains et j’ai remarqué que des rides étaient en train de se former. Ou peut-être que je me les lave trop souvent.

-J’ai encore pensé à mon père prisonnier de sa démence et du CHSLD. J’ai pleuré en pensant à son sourire; il m’a dit la dernière fois : je prie pour vous autres chaque jour, pour ne pas que vous manquiez d’argent.

-Le chat Oréo, entrainé à rapporter de petits objets, a commencé depuis quelques jours à me rapporter une baguette chinoise. Il me force à interagir avec lui. Il me fait sourire.

-J’ai pensé aux femmes victimes de violence coincées chez elles avec leur bourreau.

-J’ai pensé à mon ex qui lui, a un ennemi autrement plus difficile à abattre que le corona virus; je sais aussi qu’il a été exposé à une personne malade; j’ai encore pleuré un peu.

-J’ai pris une photo avec Doggy, le petit chien noir et blanc en peluche que Gabriel, mon fils de dix ans qui vit aux USA, a oublié ici. J’ai aussi pris une photo d’Oréo qui dort avec la langue sortie et une autre de Bouh, étalé de manière totalement indécente sur le divan. Je les ai envoyées aux enfants.

-J’ai réalisé que je n’avais plus de mascara. J’ai pensé en acheter et je me suis dit, à quoi bon. Puis, je me suis assise ici avec mon thé froid, pour vous écrire.

 

Nathalie Boisvert, tous droits réservés.

 

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