– Et si la finalité de la vie n’était au fond que d’apprendre à perdre?
La mère, extrait, Anastasis, Nathalie Boisvert, Théâtre en chantier, 22 juin 2019
– Et si la finalité de la vie n’était au fond que d’apprendre à perdre?
La mère, extrait, Anastasis, Nathalie Boisvert, Théâtre en chantier, 22 juin 2019
je ne t’appelle pas je ne t’écris pas.
je sais que
tu ne vas pas bien.
j’ai écrit des mots durs des mots acides parce que
j’attaque à la mitraillette et à la machette quand
je suis blessée
je peux être si dure si terriblement inhumaine lorsque
le sol se dérobe sous mes pieds
j’ai tant perdu en toi et par toi et aussi
avant toi
je ne tiens qu’à un fil tu le sais tu l’as toujours compris
ce trou dans le cœur
impossible à combler
personne ne comprendra jamais
ce qui nous liait
toi
et
moi
je t’aurai attendue, triste
sur le rivage désert
avec un espoir violent
alors que
parti dans un univers que je ne comprends pas
parti pour de bon avec
les anges et les démons qui te hantent
tes incendies tes lubies
tu erres et tu m’échappes.
reviendras-tu cette fois
mon amour?
tes-blessures
tueraient n’importe lequel de mes amis.
pourtant
tu es toujours debout
souvevain improbable et grandiloquent
régnant sur un empire inventé ou
qui sait?
parti peut-être pour
me protéger
avant de
disparaitre pour de bon
dans ton royaume de ruines et de poussière auquel
jamais
je n’aurai accès
des milliers d’écrans cathodiques nous séparent
des mots qui ne veulent rien dire
des mots qui font mal et qu’on regrette avoir écrit
des mots faits pour blesser écorcher le cœur
Alors que
juste tes bras ton odeur ta voix
me suffisent.
Verdun au printemps
Brouillard de pot
La fille du dépanneur est fatiguée
Je suis au boutte du boutte qu’elle m’a dit
En sippant son coke avec
un air dégoûté
Je ne sais pas si elle est enceinte ou juste
enflée par le gaz carbonique ou
si elle s’est protégée dans une bulle pulpeuse presque
sexy
contre
les losers qui défilent et reluquent son décolleté
en manque de toute
Elle est une déesse improbable elle règne sans le savoir
Sur notre royaume de ruines et de rocaille
Les livraisons ça lâche pas
j’ai hâte à la fin de mon shift.
Ses yeux sont bleu clair elle est belle
mais
ne le sait pas.
Sur le chemin entre
mon chateau immense climatisé au troisième dans
mon appartement construit en 1900 par une compagnie
le Grand Tronc je pense
encore soutenu – pour combien de temps
par un tronc d’arbre avec
les planchers si croches que
même les chats tanguent
C’est un bateau Steve l’a dit
Sauf qu’on ne voit plus trop l’horizon
Je vois
un type
mettons
on va le nommer de même
qui me reluque même si je suis vingt ans son aînée
il
pense
que
je
suis
hot
Il boit une bière
jase
à tue-tête avec le voisin du troisième
en face.
Les déchets volent dans le vent froid de l’hiver qui s’accroche
caractériel
à nos âmes en manque de soleil
Le lilas anémique se meurt il a gelé
La nuit ici ne fait pas de cadeaux
Puis, il y a eu ces quelques secondes de bonheur alors que mon père, triste ces jours-ci à cause de la perte de son vieux compagnon félin, a joué avec son petit-fils Gabriel, qui a réussi à le sortir de sa tête en lui lançant tout doucement un ballon d’anniversaire rose, et d’un seul coup la ressemblance m’a frappée: quelque chose de gracieux dans la manière de bouger, les longues mains fines, la vivacité du mouvement, le demi sourire un peu taquin. Ballet éphémère, beau, fragile, émouvant
Dans le silence le plus complet je
Contemple la fenêtre battue par la pluie
Dehors les voitures roulent, anonymes
Tracent des sillons sur l’asphalte inondé
Écorchent mes oreilles épuisées d’attendre tes mots
Qui ne viendront pas
Tu erres quelque part dans une dimension qui m’échappe
Noyé dans des pensées tellement glauques tellement violentes qu’elles
te tuent
Et moi ici impuissante
J’essaie de
Respirer
Dans l’indifférence glacée des regards virtuels des
Étrangers qui passent sans savoir
La détresse qui se joue
Derrière ma fenêtre
Inlassablement
une chanson obsessive
Indélébile
Les chats eux
Dorment
Impassibles
Confiants
Nathalie Boisvert, tous droits réservés
#Napomo
#Miplaf2019
Le ciel pâlit
Mon cœur s’efface à mesure que le soleil avance
Je deviendrai cette femme froide
Sans émotion
Celle qu’on voulait que je sois
Celle dont tous les hommes rêvent:
Rationnelle
Posée
Froide
Raisonnable
Aussi attirée par l’amour que
Par un verre débordant d’acide sulfurique.
Nathalie Boisvert
#Napomo
#Miplaf2019
Il y avait cette jeune femme, dont j’ai oublié le nom
Elle était jolie, souriante, patiente
D’origine chinoise
Elle était enfermée tout le jour dans
Un dépanneur glauque qui sentait le rongeur le désinfectant
Avec peu de lumière et le bruit aliénant des
Ventilateurs des
Frigos
Les hommes en pyjama et pantoufles qui
Malodorants et saouls
La draguaient l’appelaient ma belle Chinouaize
Elle
Restait polie
Toujours souriante
Impassible
M’avait appris quelques mots en
Mandarin
Raconté la difficulté de la langue
De la culture
Du Choc
A son arrivée il y a 15 ans
Ici
Pratiquait son français avec moi l’ex prof et
La tolérance
Envers mon manque de talent pour la prononciation
Puis
Un jour
Elle est disparue
Divorcée retournée en Chine les bras pleins d’enfants
j’espère j’espère qu’elle y est mieux
Qu’ici.
Nathalie Boisvert, Tous droits réservés
#Napomo
#Miplaf2019