Lui

je ne t’appelle pas je ne t’écris pas.

je sais que

tu ne vas pas bien.

j’ai écrit des mots durs des mots acides parce que

j’attaque à la mitraillette et à la machette quand

je suis blessée

je peux être si dure si terriblement inhumaine lorsque

le sol se dérobe sous mes pieds

j’ai tant perdu en toi et par toi et aussi

avant toi

je ne tiens qu’à un fil tu le sais tu l’as toujours compris

 

ce trou dans le cœur

impossible à combler

 

personne ne comprendra jamais

ce qui nous liait

toi

et

moi

 

je t’aurai attendue, triste

sur le rivage désert

avec un espoir violent

 

alors que

parti dans un univers que je ne comprends pas

parti pour de bon avec

les anges et les démons qui te hantent

tes incendies tes lubies

tu erres et tu m’échappes.

 

reviendras-tu cette fois

mon amour?

 

tes-blessures

tueraient n’importe lequel de mes amis.

 

pourtant

tu es toujours debout

souvevain improbable et grandiloquent

régnant sur un empire inventé ou

qui sait?

 

parti peut-être pour

me protéger

avant de

disparaitre pour de bon

dans ton royaume de ruines et de poussière auquel

jamais

je n’aurai accès

des milliers d’écrans cathodiques nous séparent

des mots qui ne veulent rien dire

des mots qui font mal et qu’on regrette avoir écrit

des mots faits pour blesser écorcher le cœur

Alors que
juste tes bras ton odeur ta voix

me suffisent.

Transplant phase terminale

Il y a un tournage sur ma rue en ce moment, un film qui s’appelle Transplant. Je regarde l’équipe et tout le bataclan et tout l’argent qui est dépensé pour ce tournage et je pense aux gens de mon quartier ici qui paient 130$ parfois pour regarder ces histoires souvent insipides sur Netflix ou illico et qui peinent à payer leur loyer et aux mendiants de la fin du mois qui cherchent quelque chose à boire ou à manger et qui errent à la recherche d’une boite de conserve pas trop chère pour calmer la faim et le coeur me lève et j’ai juste envie de m’enfuir d’ICI et toute l’équipe très occupée très fière de leurs personnes déambulent en nous regardant d’un air très important très occupé parmi les enfants sales les femmes qui les tirent par la main en se hâtant vers la maison les ouvriers qui rentrent avec leur boite à lunch l’homme au crâne à bosse le jeune homme aux boucles mécancoliques qui pleure encore au téléphone le vieux en pantoufles qui n’a pas de souliers depuis 5 ans incluant l’hiver et les jours de pluie l’autrice qui s’est perdue dans cette ile dans une ile sur une planète perdue impavide coupée de tous ces liens qui la tenaient en vie ils nous regardent avec un sourire narquois méprisants nous artistes désargentés marginaux nationaleux musclés vieux freaks drapés dans le drapeau du Tche préados couverts de poussière filant à toutes vitesses en trottinette hurlant après les caméramen qui ressemblent à des tireurs d’élite juchés sur le toit des buildings prêts à nous assassiner, ICI. Les livreurs de dépanneur qui pédalent de toutes leurs forces, sont en fait des travailleurs de première ligne qui oeuvrent à la salvation des âmes en livrant de la bière des chips et des 6/49 aux occupants des triplex en phase terminale de maladies incurables: pauvreté peur de la faim manque d’amour de sexe de tendresse de dignité de chaleur, et moi seule ici je me dis que le monde est à l’envers et les gens paient pour regarder leur histoire au lieu d’être dedans.
 
Nathalie Boisvert, tous droits réservés

Verdun printemps prise 2

Verdun au printemps
Brouillard de pot
La fille du dépanneur est fatiguée
Je suis au boutte du boutte qu’elle m’a dit
En sippant son coke avec
un air dégoûté
Je ne sais pas si elle est enceinte ou juste
enflée par le gaz carbonique ou
si elle s’est protégée dans une bulle pulpeuse presque
sexy
contre
les losers qui défilent et reluquent son décolleté
en manque de toute

Elle est une déesse improbable elle règne sans le savoir
Sur notre royaume de ruines et de rocaille

Les livraisons ça lâche pas
j’ai hâte à la fin de mon shift.

Ses yeux sont bleu clair elle est belle
mais
ne le sait pas.

Sur le chemin entre
mon chateau immense climatisé au troisième dans
mon appartement construit en 1900 par une compagnie
le Grand Tronc je pense
encore soutenu – pour combien de temps
par un tronc d’arbre avec
les planchers si croches que
même les chats tanguent
C’est un bateau Steve l’a dit
Sauf qu’on ne voit plus trop l’horizon
Je vois
un type
mettons
on va le nommer de même
qui me reluque même si je suis vingt ans son aînée
il
pense
que
je
suis
hot
Il boit une bière
jase
à tue-tête avec le voisin du troisième
en face.
Les déchets volent dans le vent froid de l’hiver qui s’accroche
caractériel
à nos âmes en manque de soleil
Le lilas anémique se meurt il a gelé
La nuit ici ne fait pas de cadeaux

Ballet

Puis, il y a eu ces quelques secondes de bonheur alors que mon père, triste ces jours-ci à cause de la perte de son vieux compagnon félin, a joué avec son petit-fils Gabriel, qui a réussi à le sortir de sa tête en lui lançant tout doucement un ballon d’anniversaire rose, et d’un seul coup la ressemblance m’a frappée: quelque chose de gracieux dans la manière de bouger, les longues mains fines, la vivacité du mouvement, le demi sourire un peu taquin. Ballet éphémère, beau, fragile, émouvant

La rage du printemps

Lune de rage
Soleil voilé
Faux printemps
Un jeune couple s’engueule au
sujet d’un téléphone brisé le ton monte
Sur le pas de la porte de la banque
Une femme invective sa mère pour
un ou deux dollars dus
depuis six mois
Même les oiseaux se poursuivent
colériques, hargneux
Moi
Je rage toute seule
 
Affamée
 
Comme si quelque chose me manquait
Depuis la nuit des temps
 
Autocombustion lente
 
Inéluctable.
 
Nathalie Boisvert, tous droits réservés
 
#Napomo
#Miplaf2019

26 avril

Dans le silence le plus complet je

Contemple la fenêtre battue par la pluie

Dehors les voitures roulent, anonymes

Tracent des sillons sur l’asphalte inondé

Écorchent mes oreilles épuisées d’attendre tes mots

Qui ne viendront pas

Tu erres quelque part dans une dimension qui m’échappe

Noyé dans des pensées tellement glauques tellement violentes qu’elles

te tuent

Et moi ici impuissante

J’essaie de

Respirer

Dans l’indifférence glacée des regards virtuels des

Étrangers qui passent sans savoir

La détresse qui se joue

Derrière ma fenêtre

Inlassablement

une chanson obsessive

Indélébile

 

Les chats eux

Dorment

Impassibles

Confiants

 

Nathalie Boisvert, tous droits réservés

#Napomo

#Miplaf2019

Avril

Le ciel pâlit
Mon cœur s’efface à mesure que le soleil avance
Je deviendrai cette femme froide
Sans émotion
Celle qu’on voulait que je sois
Celle dont tous les hommes rêvent:

Rationnelle
Posée
Froide
Raisonnable

Aussi attirée par l’amour que
Par un verre débordant d’acide sulfurique.

Nathalie Boisvert
#Napomo
#Miplaf2019

Ici

Il y avait cette jeune femme, dont j’ai oublié le nom

Elle était jolie, souriante, patiente

D’origine chinoise

Elle était enfermée tout le jour dans

Un dépanneur glauque qui sentait le rongeur le désinfectant

Avec peu de lumière et le bruit aliénant des

Ventilateurs des

Frigos

Les hommes en pyjama et pantoufles qui

Malodorants et saouls

La draguaient l’appelaient ma belle Chinouaize

Elle

Restait polie

Toujours souriante

Impassible

 

M’avait appris quelques mots en

Mandarin

Raconté la difficulté de la langue

De la culture

Du Choc

A son arrivée il y a 15 ans

Ici

Pratiquait son français avec moi l’ex prof et

La tolérance

Envers mon manque de talent pour la prononciation

Puis

Un jour

Elle est disparue

Divorcée retournée en Chine les bras pleins d’enfants

j’espère j’espère qu’elle y est mieux

Qu’ici.

 

Nathalie Boisvert, Tous droits réservés

 

#Napomo

#Miplaf2019

Poème de pharmacie

C’est le printemps
La saison des ruptures
Les Kleenex en spécial
89 cents au Pharmaprix de Verdun
Moins glam que Jean Coutu
Y a pas d’amis
Juste des zombies sur leurs téléphones
En attente de la prochaine dose de
Sucre methadone insuline antidouleurs antispasmes antidepresseurs
ou autres fixs pour
survivre
Ici
Dans ce quartier qui ressemble de plus en plus à l’infâme bataillle de 14-18
 
Le printemps
Belle saison pour brailler
Ça coutera pas cher c’est
toujours ben ça de pris
89 cents méchant deal
La radio vomit du Mapo Spread
Le miel serait trop cher
Une chanson insipide qui parle
De cette affaire-là que tout le monde veut
Pis que tout le monde perd
La fille à lunettes queue de cheval mèches caramel manteau noir à capuchon de pouelle Montréal standard
chantonne
Avec Marie chose qui est
su’l bord de mourir ou de s’évanouir de tristesse ou de désespoir les deux payent autant pour
Les chanteuses cute mince en bas de 25 avec
Un pouls
Moi je prends ma dope pis je me sauve avant que
La pharmacie devienne une grosse flaque laide qui débordera pour nous cracher sur la rue
On flottera tous accrochés sur
Des poubelles en plastique des cônes oranges ou carcasses de chars ou
gogosses décoratives laides en plastique rappelant vaguement des créatures mignonnes du règne animal/c’est Pâques/faut décorer
(Ils perdent du cash
ils ont pas encore inventé
le Pitbull en chocolat, ça ferait fureur ici)
 
Je sors
en courant
pis le soleil me frappe
derrière la tête
Comme une mornifle inattendue
pis
Il retourne se cacher
L’écoeurant, le chien
alors que
Froide et sans expression comme
une heroïne de Tarantino prête à
viander son ennemie
Je coule
Mais
Je pleure pas
Je peux pas
J’ai pas acheté de kleenex
J’avais plus de change
 
Nathalie Boisvert, tous droits réservés
 
#napomo
#miplaf2019